FILMOGRAPHY PHOTO GALLERY OTHER ABOUT / CONTACT

 

BIOGRAPHIE

Pierre Schoendoerffer – Cet Alsacien, écrivain, auteur et réalisateur de films, est né à Chamalières, Puy de Dôme, en 1928.

En 1947, il s’embarque comme matelot sur un cargo suédois, et navigue pendant deux ans en Baltique et en mer du Nord.

Fin 1951, il s’engage dans le service cinématographique des armées, et part pour l’Indochine. Il y filme les combats pendant trois ans, dont la bataille de Dien Bien Phu jusqu’à son issue, le 7 mai 1954. Prisonnier, il est libéré quatre mois plus tard après les accords de Genève. Il quitte alors l’armée, et devient reporter-photographe en Asie du Sud-Est pour différents magazines : Life, Look, Match…

Il quitte le Viêt-Nam en avril 1955. Il regagne la France en passant par Hongkong, le Japon, Hawaï et les Etats-Unis.

C’est à Hongkong qu’il rencontre Joseph Kessel. De leur amitié naît le premier film qu’il réalise en 1956La Passe du Diable – tourné en Afghanistan sur un scénario de Kessel, et qui obtient : le Prix de la ville de Berlin.

Par la suite, il alterne les films de fiction, les documentaires et écrit des livres. Son premier Roman – La 317ème Section – paraît en 1963. Il en fait un film, qu’il tourne au Cambodge l’année suivante, et qui reçoit le Prix du meilleur scénario, au Festival de Cannes en 1965.

Plusieurs de ses livres sont portés à l’écran : L’Adieu au Roi (Couronné par le Prix Interallié), Le Crabe-Tambour (Grand Prix du roman de l’Académie Française, Grand Prix du Cinéma Français, 3 César, Prix Fémina Belge), Là-haut. Il écrit deux films : L’honneur d’un Capitaine (Prix de l’Académie du Cinéma et Prix Leduc de l’Académie Française), et Dien Bien Phu.

Il réalise plusieurs documentaires de long-métrages, dont le plus célèbre – La Section Anderson – lui apporte une renommée internationale grâce à plusieurs prix de grande importance : l’Oscar à Los Angeles, et l’International Emy Award en 1968. Le prix du meilleur documentaire passé sur la BBC, le Prix Italia, le Red Ribbon Award au festival de film de New-York.

Son dernier livre paraît en 2003L’aile du papillon – (Prix des Sables-d’Olonne, Prix Encre Marine, Prix Livre et Mer de Concarneau, Prix littéraire de l’Armée de terre Erwan Bergot, Prix Meursault).

En 1984, le Prix Vauban couronne l’ensemble de son oeuvre cinématographique et littéraire.

2008, il reçoit le prix Henri-Langlois de la ville de Vincennes en tant que réalisateur.

Il est membre de l’Institut : Académie des Beaux-Arts, à partir de 1988, et en devient le Vice-président. Il est membre du jury du Prix Interallié dès 1975, du Haut-conseil de la mémoire combattante à partir de 1997, et devient administrateur du Musée de l’armée en 1990, et Ecrivain de marine en 2003.

Pierre Shoendoerffer meurt le 14 mars 2012 à l’hôpital militaire Percy à Clamart. Ses obsèques seront suivies d’un hommage national dans la cour d’honneur des Invalides.

 

 

FILMOGRAPHIE

1956 : La Passe du Diable – Prix Pellman de la Presse, Prix de la ville de Berlin

1958 : Ramuntcho – adaptation d’un roman de Pierre Loti, avec Gaby Morlay, Roger Hanin, Mijanou Bardot.

1959 : Pêcheur d'Islande – adaptation d’un roman de Pierre Loti, avec Charles Vanel, Jean-Claude Pascal, Juliette Méniel

1964 : La 317ème Section – tiré de son roman, avec Bruno Cremer et Jacques Perrin.
Sélection officielle au Festival de Cannes en 1965, il obtient le Prix du meilleur scénario. Le film est salué par la critique à sa sortie, qui y voit : « le premier film de guerre Français ». (Michel Courrot, le Nouvel Observateur, 1/04/1965) : « Ce film a été fait 100 fois, avec une autre section décimée dans une autre guerre. Il est presque une spécialité des cinéastes américains. Pourquoi celui-ci est-il un chef d’oeuvre ? »

1965 : Objectif 500 millions, avec Bruno Cremer et Marisa Mell.

1966 : La section Anderson – Documentaire retraçant la vie d’une section américaine pendant la guerre du Viêt-Nam. En 1968, il obtient l’Oscar du meilleur documentaire, l’Intenational Emmy Award, le prix Italia, et d’autres…

1970 : Documentaire sur le 25ème Anniversaire de l'ONU.

1973 : 7 jours en mer

1976 : La sentinelle du matin

1977 : Le Crabe-Tambour, adapté de son roman du même nom, avec Jean Rochefort, Claude Rich, Jacques Perrin et Jacques Dufilho. Grand Prix du cinéma français, trois Césars, Prix Fémina Belge.

1982 : L’honneur d’un Capitaine, avec Nicole Garcia, Georges Wilson, Charles Denner et Jacques Perrin. Prix de l’Académie du cinéma et Prix Leduc de l’Académie française.

1988 : Réminiscences – Documentaire où l’on retrouve 22 ans plus tard, les survivants de la Section Anderson.

1992 : Dien Bien Phu, écrit et réalisé par lui-même, avec Donald Plaisance, Jean-François Balmer et Ludmilla Michael.

2004 : Là-haut, d’après son roman, et co-adapté avec son fils Ludovic. Interprété entre autres par : Bruno Cremer, Florence Darel, Jacques Perrin et Claude Rich.

 

 

BIBLIOGRAPHIE

1963 : La 317ème Section (Laffont) – Prix de l’Académie de Bretagne

1969 : L’Adieu au roi (Grasset) – Prix Interallié

1976 : Le Crabe-Tambour (Grasset) – Grand Prix du Roman de l’Académie Française

1981 : Là-haut (Grasset)

1992 : Dien Bien Phu 1954-1992 – De la Bataille au film – album (Laffont)

2003 : L’Aile du Papillon (Grasset) – Prix Littéraire de l’Armée de terre Erwan Bergot, Prix Encre de Marine, Prix Meursault, Prix des Sables-d’Olonne, Prix du Festival Livre et Mer de Concarneau

RENCONTRE AVEC

PIERRE SCHOENDOERFFER

A L’OCCASION D’UNE INTERVIEW POUR LE MAGAZINE WWW.LEXNEWS.FR, LE 03/10/06.

 


(Pierre Schoendoerffer en tournage)

 

INTERVIEW du 03/10/06

Ch.B. : Quel a été l’élément déclencheur qui vous a poussé dans la voie que vous vous êtes tracé ?

Pierre Schoendoerffer : Pendant la guerre, j’étais à l’école à Annecy où je faisais de mauvaises études. Je venais de perdre mon père, et j’étais très malheureux. Un jour de l’hiver 42/43 j’ai lu un livre, et tout a basculé. Pour moi ce que je vivais n’était pas la vraie vie. La vraie vie c’était l’aventure, les grands espaces, et tout ce qui m’emportait dans ce livre. C’était Fortune Carrée de Joseph Kessel. À partir de ce moment-là, ma vie a pris un sens : je voulais être marin, voir le reste du monde, et vérifier que la terre était bien ronde.
Alors tout naturellement, pendant l’été 46, le temps des vacances, j’ai été sur un petit chalutier à voile et à moteur en Baie de Bourgneuf, près de Pornic. Et c’est sans grande résistance que l’année suivante, j’ai cédé à l’appel de la mer. J’ai embarqué à Boulogne sur un cargo suédois, avec lequel j’ai sillonné la Mer du Nord. Une nuit, le capitaine m’a mis la barre entre les mains, m’a donné un cap, et est parti se saouler avec le reste de l’équipage. Ils étaient tous ivres morts, et j’étais seul aux commandes face à l’immensité de la mer ; et là, il s’est passé quelque chose d’irrémédiable au fond de moi, qui a provoqué un changement de cap dans ma vie. Je ne désirais plus seulement vivre l’aventure, je voulais la raconter ! Je voulais renvoyer l’écho d’une manière ou d’une autre.
Comment me direz-vous ?
Écrire ? Je ne croyais pas à l’époque que j’étais écrivain. La musique ? Pourquoi pas ? C’est une langue universelle, mais on ne devient pas musicien à 20 ans. Je n’étais ni peintre, ni sculpteur, et je me suis dit : « Pourquoi pas le cinéma ? Après tout j’ai vu beaucoup de films, ça ne doit pas être si difficile que ça ! » Le cinéma est un regard, et comme j’étais un homme curieux, j’ai pensé que ce serait dans mes capacités. Et puis il y avait des films qui, sans être des révélateurs comme les livres, m’avaient touché, m’avaient montré que derrière la face visible, il y avait une face cachée, et ça, ça m’intéressait beaucoup ! C’était juste après la guerre. Il y avait tous ces films américains que je consommais plutôt que d’aller au lycée…

Ch.B. : Donc à ce moment-là, ce n’est plus l’appel de la mer ?

Pierre Schoendoerffer : L’appel de la mer reste. J’ai fait quelques films sur la mer : Pêcheur d’Islande, Sept jours en mer, le Crabe-Tambour, même dans : Là-haut, la mer est présente, mais je ne suis pas devenu un marin professionnel. Je l’ai été. J’ai été marin pêcheur, et marin au commerce, mais je ne le suis plus.

Ch.B. : Comment êtes-vous arrivé au cinéma ?

Pierre Schoendoerffer : Le cinéma est un monde autarcique, vous frappez aux portes, elles restent fermées. J’ai vu Sabbag par exemple, qui était un personnage de cette télévision qui commençait à naître, et il m’a dit : « c’est très bien, mais on n’a pas besoin de vous, on en a d’autres ! » Dans les studios de cinéma, c’était pareil ! Pour pouvoir y entrer, il faut déjà être dedans. C’est un peu le château de Kafka. Alors j’ai fait de la photo…
Un jour, je lis dans le Figaro un article de Serge Bromberger, qui raconte la mort d’un sergent Kowal, caméraman, qui avait été tué en Indochine. Je me suis dit que personne ne voudrait prendre sa place, et que c’était peut-être une chance. J’apprends que Georges Kowal était engagé au service cinématographique des armées. Donc je m’engage, et je me porte volontaire pour l’Indochine…

Ch.B. : Vous êtes allé en Indochine, pour faire du cinéma ?

Pierre Schoendoerffer : Mon point de départ n’était pas de faire la guerre, mais faire du cinéma ! Il n’y avait pas d’appel particulier de l’uniforme. J’avais fait mon service militaire fin 49/50, dans l’infanterie alpine à Chambéry et à Modane, sans enthousiasme. J’ai même été un mauvais soldat, parce que je trouvais que c’était une perte de temps.
Je suis donc parti en Indochine pour apprendre mon métier, et bien sûr, j’ai trouvé là-bas beaucoup plus que ma propre ambition !

Ch.B. : Vous saviez quand même où vous alliez ?

Pierre Schoendoerffer : C’était pour moi un quitte ou double. Ça c’est vrai ! Soit je revenais et j’étais un des meilleurs ou le meilleur, soit je ne revenais pas et c’était le destin ! Je m’en remettais à la volonté de Dieu.

Ch.B. : Et vous passez là-bas trois années.

Pierre Schoendoerffer : Si vous voulez, ma position là-bas était exceptionnelle. Parce que j’ai partagé avec la troupe : la cigarette, les rations, la pluie, et les combats. J’ai même été blessé. Et en même temps, bien que je n’étais que caporal, puis caporal-chef, en tant que caméraman, j’ai rencontré tous les généraux en chefs qui voulaient être filmés en certaines occasions, une poignée de ministres qui venaient prendre le pouls de cette guerre d’Indochine, un empereur et deux rois. (Srisavang Vong, roi du Laos - Sihanouk, roi du Cambodge - Bao Daï, empereur d’Annam) Sihanouk et Bao Daï avaient une certaine affection pour moi. Ils aimaient le cinéma, et je ne les ai d’ailleurs jamais tout à fait perdus de vue. Par la suite, Sihanouk m’a permis de faire la 317è section, il a presque été un coproducteur… Donc j’ai été avec le top, avant de toucher le fond de la misère humaine.

Ch.B. : Donc à l’issue de la bataille de Dien Bien Phu, vous êtes fait prisonnier. Au même titre que vos camarades combattants ?

Pierre Schoendoerffer : Bien sûr, j’étais soldat ! La captivité a duré quatre mois, mais il y avait une longue route à faire pour arriver aux camps ! Entre 700 et 800 Kms dans la jungle, par les pistes, on n’avait presque rien à manger. Vraiment on crevait de faim ! Il y avait le paludisme, la dysenterie, le béribéri… J’ai tout eu, mais j’ai survécu, moi. Les trois quarts de mes camarades n’en sont pas revenus.

Ch.B. : À votre avis, pourquoi vous, vous avez survécu ?

Pierre Schoendoerffer : Je ne sais pas. Ma constitution, ma nature ? Je ne voulais pas mourir, j’avais une espèce de soif de vie. Ma mère a eu une formule quand j’étais prisonnier, et qu’on lui disait tous les dangers que ça impliquait. Elle a dit : « il a trop de joie en lui pour mourir. » Je pense que c’était assez juste.

Ch.B. : À l’issue de cette captivité, vous ne rentrez pas tout de suite.

Pierre Schoendoerffer : Non, je venais de vivre quelque chose d’extraordinaire, une aventure exceptionnelle, et je me demandais ce que j’allais retrouver en France : des portes fermées ?! Et puis j’avais besoin de me remettre, physiquement et moralement. Quand on survit à ses camarades, on ne prend pas ça facilement, il faut retrouver son rythme. Comme j’aimais le Vietnam, je suis resté pendant cinq mois. Il restait encore des Français, ils ne sont partis définitivement qu’en 56. Je me suis fait démobiliser sur place, et j’ai gagné ma vie en faisant des photos… Je suis allé dans le Sud, et j’ai travaillé pour Match, Life, Time Magazine, Look…
J’ai fait des reportages qui m’étaient commandés, ou qui m’étaient achetés : Sur les premiers boat people qui quittaient le Tonkin, et qu’on ramassait sur les côtes du nord Vietnam. Sur leur implantation dans le Sud, sur les plateaux montagnards. Sur Ngô Dinh Diêm, le nouveau président de la république du sud Vietnam…
À un moment donné, j’ai réalisé que ce n’était pas au Vietnam que ma carrière de cinéaste se ferait, et qu’il fallait que je rentre en France. J’avais mon ticket de retour de l’armée par la voie directe, mais comme mes photos m’avaient permis d’amasser un petit pécule, que j’avais fait un peu plus de la moitié du tour du monde, j’ai décidé de l’achever. Je me suis lancé dans une série de sauts de puces, Hongkong, Taipei, le Japon, les îles Hawaï, les États-Unis que j’ai traversés en passant par San Francisco…

Ch.B. : Vous n’êtes pas allé faire un tour à Hollywood ?

Pierre Schoendoerffer : Si ! J’avais des petites clés qui m’ouvraient des portes. J’ai même été stagiaire pendant 10 jours sur un film, parce que les gens de Life, qui m’aimaient bien, m’avaient introduit. Mais comme je n’avais pas de Carte Verte, je n’ai pas pu rester. J’ai même été tenté de quitter l’Amérique et d’y retourner pour l’obtenir, et puis…
Mais la première escale que j’ai faite, était Hongkong. Il se trouve que Kessel était là. On me l’a présenté, parce que j’allais toujours voir les journalistes. Quand vous arrivez dans un pays que vous ne connaissez pas, c’est une bonne clé d’aller voir les gens de l’AFP. Ils vous expliquent comment ça se passe. Et j’ai donc passé une nuit Kesselienne, une nuit de prince ! On a fait tout ce que Kessel pouvait imaginer de faire, c’est-à-dire boire beaucoup, le cas échéant fumer de l’opium. Je lui ai déversé tout le trop-plein de cette aventure que j’avais vécue pendant trois ans en Indochine, et ça l’a fasciné. Il m’a dit : « Il faudra qu’on se revoie », et on s’est quitté… À peine arrivé en France, Pathé Journal, qui connaissait mon travail, m’a demandé de partir pour le Maroc (avec un très gros contrat – pour une fois je gagnais de l’argent) où régnait une énorme effervescence. Le Sultan Mohammed V avait été déposé par la France au profit de Ben Arafat. Les marocains n’étaient pas d’accord et il y avait des émeutes partout.
15 jours après mon arrivée à Paris, je suis donc reparti pour Pathé Journal, comme correspondant au Maroc, où j’ai vécu tous les combats, qui n’étaient pas des vrais combats, mais c’était comme les préludes de la guerre d’Algérie… Guerre d’Algérie qui avait déjà commencé fin 54 !
Et puis j’en ai eu marre, alors j’ai annoncé à Pathé Journal que je les quittais, et ils m’ont répondu : « Vous nous quittez ? Et bien vous ne ferez plus jamais de cinéma, parce que nous sommes très forts ! » Je me rappelle très bien cette phrase, et j’en étais un peu ébranlé ! Là j’ai sauté sans parachute !
J’ai raconté à Pat (Patricia, son épouse), que j’avais rencontrée au Maroc et qui travaillait à France Soir, ma rencontre avec Kessel. Elle me dit : « appelle-le ! » Moi je n’osais pas. Pour moi, Kessel, c’était un monument historique ! J’ai finalement cédé et il me répond : « je suis content que tu appelles. Je te cherche partout parce que je veux faire un film en Afghanistan, et je veux que ce soit toi qui le fasses ! » C’est donc lui qui m’a mis le pied à l’étrier, en me faisait faire : La Passe du Diable
Kessel m’a ressuscité, et Pathé Journal ne pouvait rien contre ça.

Ch.B. : c’est en quelle année ?

Pierre Schoendoerffer : C’était au moment du Canal de Suez (1956). Du coup, on nous a demandé poliment de quitter l’Afghanistan, parce que les relations entre les pays musulmans et la France s’étaient détériorées. Bien que le roi nous était très favorable, Kessel le connaissant. En attendant avec Coutard (Raoul Coutard, son chef opérateur dont c’était le premier film, qui deviendra également celui de Jean-Luc Godard), on est allé faire un moyen-métrage documentaire au Vietnam : Than le Pêcheur, et puis on est rentré finir le film. Il y a eu des problèmes de raccords, parce qu’on ne retrouvait plus les mêmes personnes, et ça, ça a été le talent de Kessel que de trouver la solution pour faire un film qui est un beau film, qui a eu le prix Pellman en 58, et l’Ours de la ville de Berlin au Festival de Berlin.

Ch.B. : Et qui avait été critiqué par Godard !

Pierre Schoendoerffer : Sans doute, mais Godard critiquait tout le monde. La nouvelle vague tirait sur tout ce qui était différent d’eux. Ils avaient leur petite bande et tiraient sur tout : Carné, Autant-Lara…

Ch.B. : À cette époque-là, on est en pleine guerre d’Algérie. Vous y avez situé l’action de plusieurs de vos oeuvres, mais vous n’y participez pas, d’une façon ou d’une autre.

Pierre Schoendoerffer : Non, parce que je menais à bien ma propre ambition, ma carrière de cinéaste. En même temps ce n’est pas tout à fait vrai. J’ai fait un reportage en 59, pour « Cinq colonnes à la une ». C’est Pierre Lazareff qui me l’avait demandé…

Ch.B. : Justement, dans les rencontres qui ont compté pour vous ?
Il y a en premier Joseph Kessel.

Pierre Schoendoerffer : Ça c’est sûr !

Ch.B. : Pierre Lazareff.

Pierre Schoendoerffer : Exactement ! C’est une très grande rencontre qui m’a permis de faire ce reportage sur l’Algérie, et par la suite La Section Anderson.

Ch.B. : Il y a aussi Georges de Beauregard ?

Pierre Schoendoerffer : Georges de Beauregard était le producteur de : La Passe du Diable. Il s’est intéressé à moi, à ce que j’étais, et m’a fait faire mes films par la suite. La porte c’est donc Kessel, on en revient à Fortune carrée.

Ch.B. : Ce n’est pas anodin pour un cinéaste de rencontrer un producteur qui soit capable de produire : Schoendoerffer, et la nouvelle vague en même temps ?

Pierre Schoendoerffer : Non, ce n’est pas anodin. C’était un homme très cultivé, c’était un aventurier du cinéma ! Il avait une haute opinion de ce qu’était le cinéma, et de ce qu’il voulait essayer de promouvoir et d’inspirer. Mais c’était aussi un type qui ne payait pas ! J’ai moins gagné avec mes films qui ont pourtant très bien marché, qu’avec mes romans. Mais j’ai fait mes films, c’est important !

Ch.B. : Il y a quelqu’un qu’on rencontre également à plusieurs reprises dans votre parcours, c’est Jacques Perrin. C’est juste un comédien, ou c’est un compagnon de parcours ?

Pierre Schoendoerffer : C’est Beauregard qui me l’a présenté. Il rentrait d’Italie où il faisait une belle carrière, et il voulait revenir en France. Il venait de faire un très beau film qui s’appelait : La fille à la valise. Il souhaitait faire le rôle du Lieutenant Torrens dans la 317ème section. Quand je l’ai vu, il était un peu poupon, alors je lui ai dit : « vous savez les soldats c’étaient des loups maigres ». Il m’a demandé : « vous êtes très très pressé de faire votre choix ? » J’ai répondu : « j’ai 15 jours, 3 semaines devant moi, après ça je pars au Cambodge. Je ne reviendrai pas, il faudra que les personnages que j’ai choisis viennent me rejoindre là-bas ». Il m’a juste dit : « laissez-moi deux semaines ». Je pense que pendant ces 15 jours, il n’a pas mangé. Il n’était pas encore un loup maigre, mais cet acte de foi, de vouloir au point de revenir amaigri 15 jours plus tard, m’a convaincu. Je me suis dit qu’avec quelqu’un qui a cette volonté, on pouvait aller au bout du monde ! Et l’on est parti.
Après ça, j’ai fait : Objectif 500 millions. Il n’était pas dans le coup. Puis pendant 11 ans, je n’ai pas fait de films. J’ai écrit des livres, j’ai fait des documentaires : La Section Anderson - La Sentinelle du Matin, sur les avions de chasse – un autre sur le 25e anniversaire de l’ONU… Mais je n’ai pas fait de films. Parce que mes sujets n’intéressaient personne, et ceux qu’on me proposait ne m’emballaient pas. Et petit à petit, on m’en a proposé de moins en moins. 11 ans, c’est une longue période. Je me suis dit que je ne ferais plus jamais de cinéma, et j’ai écrit : Le Crabe-Tambour. Je l’ai envoyé à Georges de Beauregard, avec qui j’avais des différents financiers d’ailleurs. On avait échangé des avocats ! Mais je lui avais envoyé le livre, parce que je l’aimais bien. C’était un type qui savait lire, et je voulais lui montrer que je ne mourrais pas de faim, et que je continuais à faire des choses. Il m’a téléphoné le lendemain en me disant : « On en fait un film ! »
À ce moment-là, je ne voulais pas Jacques Perrin, mais quelqu’un d’autre qui m’a claqué dans les doigts. Le tournage avait déjà commencé sur l’escorteur d’escadre le Jaureguiberry de la Marine Nationale. En rentrant Beauregard me dit que Perrin veut faire le film.

Ch.B. : Donc c’est plus un désir de sa part, qu’un vrai choix de la vôtre.

Pierre Schoendoerffer : Là, oui ! Mais je n’ai pas été du tout mécontent du choix. Ce n’était pas le personnage tel que je me l’imaginais, mais Perrin avait le don de l’éternelle jeunesse, et ça c’est quelque chose qui me touchait beaucoup.

Ch.B. : Et pour L’Honneur d’un Capitaine ?

Pierre Schoendoerffer : Ça faisait une sorte petite de trilogie, et je voulais retrouver des images de lui très jeune dans de la 317ème section. Pour les mêmes raisons, j’avais besoin de lui, et de Cremer, pour : Là-haut. S’ils m’avaient dit non, je ne faisais pas le film !

Ch.B. : Pierre Guillaume, vous l’avez rencontré ?
(Né en 1925, Pierre Guillaume est un officier de marine très indépendant. Il fait trois séjours en Indochine qu’il marque de son empreinte. Après la guerre, il rejoint la France à bord d’une jonque et se fait dépouiller par une tribu somalienne dont il devient l’hôte. Il s’engage en Algérie pour remplacer son frère tombé au combat, et est fait officier de la légion d’honneur à trente-cinq ans. Ses convictions le poussent à participer au putsch des généraux avec lesquels il sera emprisonné durant six ans… Il meurt en 2002.) (Pour les curieux, il fait une petite apparition dans le film « Le Crabe Tambour ». Il joue le rôle de l’avocat de Jacques Perrin lors de son procès.)

Pierre Schoendoerffer : Je l’ai rencontré quand il est sorti de prison, parce que j’étais resté en contact avec Salan. Salan avait été mon patron en Indochine, et j’avais de l’estime pour lui. Pas pour ses choix politiques. Je ne suis pas un homme de politique, je suis un homme d’émotions, c’est mon métier. Je lui avais envoyé mon livre : La 317ème section, en 1964, avec la photo du premier poste qu’il avait occupé comme lieutenant sur le Mékong quand il avait 20 ans, et que j’avais retrouvé. Quand ils ont été amnistiés et libérés, sous Pompidou, je leur ai proposé de leur montrer mes films.

Ch.B. : Quand vous dites, que vous leur avez proposé…, de qui vous parlez exactement ?

Pierre Schoendoerffer : De tous ceux qui étaient incarcérés à Tulle avec Salan. C’est-à-dire : Jouhaud, Challe…

Ch.B. : Zeller ?
(Le 21 avril 1961, les généraux : Jouhaud, Zeller, Challe, puis Salan, fomentent un coup d’état à Alger, parce qu’ils s’opposent aux négociations d’indépendance menées par de Gaulle. Le Putsch échoue rapidement…)

Pierre Schoendoerffer : Oui je crois ! Pierre guillaume et quelques autres…

Ch.B. : Denoix de St Marc ?
(Commandant Hèlie Denoix de Saint-Marc, commandant par intérim du 1er Régiment Étranger de Parachutistes, fer de lance du putsch.)

Pierre Schoendoerffer : Oui aussi ! Et je leur ai fait une projection. Ils avaient amené leur femme, ils étaient une vingtaine. J’ai fait ça par amitié, et c’est là que j’ai rencontré pour la première fois Pierre Guillaume. Je connaissais le personnage de réputation. C’était un de ces capitaines légendaires ! Donc on a fait connaissance, et l’on s’est pris de sympathie. Quand j’ai commencé à écrire mon livre : Le Crabe-Tambour, je me suis dit qu’il y avait dans son histoire quelque chose qui m’intéressait. Ce n’est pas sa biographie, c’est mon histoire telle que je l’ai rêvée, c’est ma Fortune Carrée !

Ch.B. : D’où vient le titre ?

Pierre Schoendoerffer : J’avais dédié mon deuxième roman : L’Adieu au roi, à mon fils aîné Frédéric que j’appelais le Petit Prince. J’ai donc dédié celui-ci à mon fils cadet, Ludovic, parce qu’enfant, il avait un petit ventre rond sur lequel il tambourinait, et comme il marchait à quatre pattes et de travers, je l’appelais le crabe. D’où le Crabe-Tambour ! Vous voyez, c’est quelque chose de tout à fait personnel. Ce n’est pas sa vie, ce n’est pas la mienne. C’est autre chose. C’est le mystère de la création ! Les personnages de Fortune Carrée n’ont jamais existé, même s’ils ont été inspirés par les gens que Kessel a croisés. C’est pareil pour moi. C’est le mélange de tous ceux que j’ai rencontré, qui m’ont impressionné, qui m’ont inspiré. Vous puisez dans ce qui existe en vous, c’est comme ça qu’on écrit un roman !

Ch.B. : Justement vous dites : les personnes qui vous ont impressionné ? Qui d’autre par exemple ?

Pierre Schoendoerffer : Un certain nombre de capitaines et lieutenants que j’ai connus sur le terrain… Un type comme Bigeard par exemple ! Ou Bréchignac, qui était le patron du 2e bataillon du 1er RCP. (Régiment de Chasseurs Parachutistes) C’était un personnage formidable ! Et d’autres beaucoup moins galonnés, des petits sergents qui m’ont impressionné par leur manière d’être, d’affronter les dangers de la vie, et la mort à l’occasion ! En Indochine, j’en ai rencontré quelques-uns…

Ch.B. : Le contraire aussi ?

Pierre Schoendoerffer : Beaucoup moins, ou alors j’étais aveugle et je ne les ai pas vus. Il y avait bien sûr des médiocres, mais ils étaient rares dans les unités qui allaient au combat, là où on m’envoyait parce que c’est ce que voulaient les informations. C’était la Légion, les Paras, la Coloniale, les Tirailleurs Algériens, les Goumiers Marocains…

Ch.B. : Dans La 317ème Section, Willsdorf est alsacien comme vous, et c’est un : Malgré-nous…

Pierre Schoendoerffer : J’ai connus des alsaciens qui ont été enrôlés dans la Wehrmacht. C’est un sujet qui m’intéresse, parce qu’il y a une espèce de schizophrénie chez eux ! Ils souhaitaient fondamentalement la défaite de l’Allemagne, parce que sans ça l’Alsace devenait allemande… Mais il faisait tout pour le succès de la petite unité à laquelle ils appartenaient. D’abord parce que c’était leur survie, et ensuite parce qu’ils partageaient le sort de leurs compagnons qui étaient Allemands. Ils faisaient le contraire de ce qu’ils espéraient, et ça, ça les troublait. On les envoyait surtout sur le front de l’Est, parce que là-bas, ils ne pouvaient pas déserter, c’était trop dangereux…

Ch.B. : Toujours dans La 317ème Section, il y a un parti pris dans la réalisation.


(La 317ème Section – L’Adjudant Willsdorf (B. Cremer) et le Lieutenant Torrens (J. Perrin))

Pierre Schoendoerffer : Absolument ! Mon principe était que la caméra soit un soldat invisible et anonyme, qui ne peut voir que ce qu’un soldat peut voir ! C’est pour ça que lorsque Cremer s’en va, on ne le voit que de loin si on le voit, on est pas avec lui, on reste tout le temps dans le groupe. À un moment donné, je voulais une vue aérienne du dakota qui leur parachute des vivres, mais là je me suis dit : « Je sors de la section, ce n’est plus le point de vue subjectif. » Je ne l’ai pas tourné !

Ch.B. : La tenue du Lieutenant : les gants en cuir, l’usm1, c’était comme ça là-bas ?
(US M1 :Petite carabine légère et compacte, en dotation dans l’armée américaine pendant la deuxième guerre mondiale, et dont les officiers français auraient été friands en Indochine)

Pierre Schoendoerffer : ça dépend ! Lui c’était un St Cyrien tout neuf ! Il n’avait pas les gants blancs, parce que c’était fini, mais il sortait de l’école et c’est une école qui marque. Alors que Willsdorf était un sous-officier qui en avait vu des vertes et des pas mûres, et qui savait que la survie impliquait un certain nombre de sacrifices.

Ch.B. : Est-ce que Bruno Cremer sait combien il est devenu emblématique du sous-officier dans l’Armée Française ?


(La 317ème Section – L’Adjudant Willsdorf, interprété par Bruno Cremer)

Pierre Schoendoerffer : Oui, et ça l’a agacé ! À juste titre, parce qu’après le film, on ne lui a plus proposé que des rôles de baroudeurs. Il a dit : « Non ! Moi je suis un acteur, je ne suis pas que ça ! » Je voulais l’avoir dans Le Crabe-Tambour, mais il a refusé !

Ch.B. : Dans quel rôle vous le vouliez ?

Pierre Schoendoerffer : Non, je ne vais pas vous le dire parce que c’est une cuisine interne… Mais par contre, il a tout de suite marché pour Là-haut. Il avait digéré tout ça, il était devenu Maigret… Il a beaucoup aimé le film, et pour moi ça a été un grand plaisir de le retrouver. J’ai fait trois films avec Cremer : La 317ème ; Objectif 500 millions, où il joue un type qui a fait l’OAS et qui sort de prison, et évidemment Là-haut. Et avec Perrin, j’en ai fait quatre.

Ch.B. : Puisque vous parlez de Jacques Perrin, qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire : L’Honneur d’un Capitaine ?

Pierre Schoendoerffer : Je voulais faire un film sur la guerre d’Algérie, parce qu’on disait un tas de choses que je trouvais simplistes, et en même temps personne ne voulait se mouiller. C’était encore trop chaud. D’ailleurs j’ai posé ma main sur des cendres, et il y avait des braises juste en dessus. Je me suis brûlé ! Je voulais essayer de montrer la complexité de l’affaire. Je ne voulais pas avoir la fin parce que c’était quelque chose que je ne savais pas très bien régler au fond de moi-même. Donc j’ai choisi une année neutre : 1958, en soulevant un certain nombre des questions qui restent encore sur l’estomac des Français.
Ce n’était pas facile à faire, parce que je touchais à quelque chose que je n’avais pas vécue. Puisque à cette époque, j’étais préoccupé par ma propre ambition, ma carrière. En même temps, c’étaient mes camarades de combat d’Indochine, qui servaient en tant qu’officiers ou sous-officiers en Algérie, et j’avais un lien très profond avec eux, avec leurs tourments, leurs inquiétudes, leurs choix difficiles …

Ch.B. : Votre conseiller militaire sur le film était : Alain Bastien-Thiry. C’est le fils ?
(Jean Bastien-Thiry : Polytechnicien et brillant scientifique de stature internationale, dont la conscience a été bouleversée par le drame algérien. Interprétant les revirements du général de Gaulle sur la question algérienne comme une trahison à l’égard de la nation, il organise contre lui l’attentat du petit Clamart le 22 août 1962. Le lieutenant-colonel Bastien-Thiry est condamné à mort, et passé par les armes le 11 mars 1963. C’est la dernière exécution politique en France.)

Pierre Schoendoerffer : Non, c’est le neveu. Comme je ne voulais pas avoir à expliquer sur le tournage comment on tient un fusil, j’avais besoin d’un petit Lieutenant qui sortait de son service militaire. Bastien-Thiry s’est proposé. Il avait une bonne gueule, j’ai dit ok ! Il a formé une vingtaine de jeunes locaux de l’Ardèche, et 7 ou 8 comédiens parisiens. On le voit un peu, il joue le jeune Caron, le fils de Nicole Garcia.

Ch.B. : Pourquoi ne pas avoir pris de vrais soldats ?

Pierre Schoendoerffer : L’armée a refusé son concours. Il n’y a pas eu un soldat ! Au départ ils avaient dit oui, et après ils ont changé d’avis. Le général qui commandait à ce moment-là l’armée de terre, m’avait fait venir en me disant : « Tu ne me fais pas ça, c’est une mauvaise action ! » Il me tutoyait parce qu’on se connaissait depuis l’Indochine. Évidemment j’ai passé outre, mais le film était presque lancé, on a dû donc former notre propre petite armée avec Beauregard. Même quand je suis allé à St Cyr, ils ne voulaient pas que je tourne. Il se trouve qu’à l’entrée de l’école, il y a le musée qui est ouvert au public et qui n’appartient pas uniquement à l’armée. C’est donc là que j’ai tourné ! Les St Cyriens étaient furieux de cette interdiction, alors ils m’ont facilité l’accès au stand de tir. Il y a un adjudant-chef qui a dit : « je le prends sur moi, même si ça me coûte ma carrière ! »

Ch.B. : Certainement un fan de Willsdorf ?

Pierre Schoendoerffer : Certainement !

Ch.B. : Georges Wilson qui joue le Bâtonnier, ça a été une belle rencontre ?

Pierre Schoendoerffer : Ah oui ! C’est un homme que j’aime beaucoup. Grand acteur ! Il y a lui, et puis Charles Denner qui est formidable !

Ch.B. : Justement, Charles Denner, dans le rôle de l’avocat de la défense, mentionne L’école de guerre psychologique d’Arzew. Elle a vraiment existé ?

Pierre Schoendoerffer : Oui.

Ch.B. : Et le mémento aussi ? Le livre que Georges Marchal, dans le rôle du général commandant St Cyr, a dans la poche au procès ?

Pierre Schoendoerffer : Je ne me rappelle plus, mais je n’ai rien inventé. C’était une école de formation des cadres sur la guerre psychologique. Ces militaires revenaient pour la plupart d’Indochine. Beaucoup avaient été fait prisonniers, et subit le travail psychologique des commissaires politiques. Ils se sont dit qu’il y avait quelque chose à prendre là-dedans…

Ch.B. : Vous avez tournez où ?

Pierre Schoendoerffer : En Ardèche pour la part algérienne avec des Harkis.

Ch.B. : Le film Dien Bien Phu, c’est un désir de toujours ?

Pierre Schoendoerffer : Non, on me l’a demandé. C’est Kirshner, le producteur, qui en a eu l’idée. C’est quelque chose qui m’excitait, et en même temps me faisait très peur. Pour moi, c’était énorme ! On envisageait de le tourner en Thaïlande ou aux Philippines, et ce sont les Vietnamiens qui ont demandé que l’on tourne le film au Tonkin. Je pensais évidemment que ce serait formidable, mais je me méfiais des cocos. Je les connaissais !
On est parti à Hanoï. On a vu des personnages importants, beaucoup de commissaires politiques, et le général qui commandait le Tonkin. Je lui ai dit voilà, on va avoir besoin de votre armée, mais pas uniquement pour jouer le vietminh, aussi pour interpréter les Vietnamiens qui étaient avec nous, nos camarades de combats. Ceux que vous appeliez les fantoches. Il m’a répondu : « C’est un mot que nous n’utilisons plus. » J’ai pris ça comme un début de poignée de main…
Je leur ai également dit que je ne passerai pas de l’autre côté, je ne passerai pas la frontière de la ligne de feu. C’est l’histoire vue par un Français. Je ne voulais pas non plus de personnages historiques, pour ne pas avoir à leur faire dire des choses qu’ils n’auraient pas dites, parce que je ne suis pas biographe. On ne voit pas Bigeard par exemple !

Ch.B. : On en parle pourtant !

Pierre Schoendoerffer : On en parle, mais je ne l’ai pas montré. Je ne voulais pas qu’on voie de Castres, ni même Cogny. On voit sa voiture, et l’on entrevoit un képi, mais on ne le voit pas. (Général Cogny, adjoint du général Navarre, commandant en chef en Indochine. Colonel, puis général de Castres : Chef du camp retranché de Dien Bien Phu.) Je ne voulais pas de personnages historiques, je voulais ma liberté. J’ai un capitaine, qui m’est inspiré d’un capitaine que j’ai connu, et qui a fait à peu près ce qu’il a fait. J’ai aussi un artilleur qui m’a inspiré.

Ch.B. : Il y a Geneviève de Galard !
(Geneviève de Galard : Convoyeuse de l’air, engagée en Indochine. Elle sera la seule femme au milieu de 15 000 soldats pendant la bataille de Dien Bien Phu, et restera pour eux : « l’Ange de Dien Bien Phu ».)

Pierre Schoendoerffer : Oui, et c’est ma fille qui joue le rôle. Quelqu’un dit juste : « Qui c’est celle-là ! » Et un autre répond : « C’est Geneviève. »

Ch.B. : Et votre fils joue votre propre rôle.

Pierre Schoendoerffer : Oui.

Ch.B. : Le personnage dans Là-haut, votre dernier film, c’est un peu vous ?

Pierre Schoendoerffer : Pas du tout, c’est tiré de mon roman. C’est le romancier qui écrit, qui s’inspire de ce qu’il connaît un peu, comme chez Proust, mais ce n’est pas moi. Je mets ma teinte !

Ch.B. : Je ne crois pas que ce soit désobligeant de dire que vous êtes un cinéaste et un romancier conradien ? D’ailleurs vous le revendiquez vous-même ?

Pierre Schoendoerffer : Je me mets à l’ombre de Conrad, qui pour moi est un des plus grands écrivains de la charnière entre l’avant-dernier et le dernier siècle.

Ch.B. : Vous avez essayé d’adapter Typhon au cinéma ?

Pierre Schoendoerffer : Oui, j’ai fait une adaptation. Le film ne s’est pas fait.

Ch.B. : Qu’est-ce que vous pensez d’Apocalypse Now ?

Pierre Schoendoerffer : C’est du grand spectacle américain. Beaucoup de caricatures en poussant le bouchon très loin. Il y a quand même une part de vérité, mais ce n’est pas le film qui m’a le plus touché sur ce que les Américains ont fait sur la guerre du Vietnam. Celui qui m’a vraiment troublé, et même ému profondément, c’est : Deer Hunter - Voyage au bout de l’enfer ! Un film tout à fait remarquable. C’est-à-dire : On prend des jeunes gens ; Ils sont broyés par la guerre ; On ouvre la main, et qu’est-ce qui reste : un invalide physique, un invalide moral qui se suicide, et un homme qui en sort grandi. ça m’a semblé très juste. En dehors du fait que le film est très bien fait, c’est vraiment du très beau travail…

Ch.B. : Pour conclure. Quel regard portez-vous sur les évènements que vous avez traversés, et qu’est-ce que vous inspire le monde d’aujourd’hui ?

Pierre Schoendoerffer : On a gagné la guerre contre le nazisme. Quelque soit la part qu’ait pris la France, on en a pris une part ! Les abominations du communisme se sont effondrées, mais elles ont été remplacées par d’autres, d’une certaine façon. Donc il y a tout une part de moi, la part raisonnable qui est très pessimiste, et tout une part de moi, qui est la part émotionnelle, parce que j’ai des enfants et des petits-enfants, qui veut être optimiste. Qui pense que la vie de l’homme ne peut pas se terminer par un abominable gâchis sur cette terre. C’est comme la foi dont parlait St Augustin, parfois on l’a et parfois on la perd. Il y a des moments où j’ai peu d’espoir, et d’autres ou je me dis : « Non. Il faut y croire ! »

Ch.B. : De ces valeurs qui sont les vôtres, qu’est-ce que vous avez essayé de transmettre à vos enfants ?

Pierre Schoendoerffer : Je n’ai fait que transmettre ce que j’avais reçu. Je n’ai rien inventé, elles appartiennent à la nature humaine. On me reproche toujours de parler d’honneur. Qu’est-ce que ça veut dire : l’honneur ? On ne sait peut-être pas ce que c’est, mais le déshonneur, tout le monde connaît, même le voyou sait quand il s’est déshonoré. On parle de justice. Qu’est-ce que la justice ? Une quête. On la cherche, on ne la trouve peut-être pas, mais on sait très bien ce qu’est l’injustice, en tout cas on la ressent. Le courage ? Ce n’est pas d’être soldat, de tirer sur quelqu’un et de se faire tirer dessus. Là aussi c’est quelque chose de…, mais la lâcheté, on sait très bien ce que c’est ! On sait toujours très bien ce qu’est la valeur, par son contraire !

Ch.B. : Merci pour cette interview.

Pierre Schoendoerffer : C’est moi qui vous remercie.